AGI - Le sommet du G20 en cours au Brésil, à Rio de Janeiro, représente une étape historique pour le continent africain: pour la première fois, l’Union africaine (UA) participe en tant que membre à part entière, après avoir longtemps été reléguée au rang d’invitée. Une avancée symbolique qui consacre l’entrée de l’Afrique dans le cercle des décideurs mondiaux, après son admission officielle dans le groupe des 20 économies émergentes en septembre dernier, alors que l’UA n’est pas encore un membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu.
Au sommet brésilien, dont les attentes sont énormes, le continent africain est représenté par le président en exercice de l’UA, Mohamed Ould Ghazouani, et par le président de sa Commission, Moussa Faki Mahamat. L’objectif est clair et revendiqué de longue date : bâtir les fondations d’une nouvelle coopération Nord-Sud et réussir à défendre, d’une seule voix, les intérêts des 54 pays africains.
Le Brésil, pays émergent et membre des BRICS, partage nombre des aspirations du Sud global. Sous sa présidence, l’Afrique dispose d’un allié précieux pour gagner en poids politique au sein du G20. Le rendez-vous de 2025, qui se tiendra en Afrique du Sud, s’annonce vraiment décisif. Pretoria, unique représentant africain jusqu’à présent, possède une expertise précieuse pour guider l’UA dans ce nouveau rôle.
Priorités de l'UA pour l'engagement avec le G20 : lutte contre la faim et exploitation des matières premières
Les thématiques à l’ordre du jour de ce sommet résonnent profondément avec les enjeux du continent qui, dans des résolutions adoptées lors du 37e sommet de l’UA, a fixé les priorités au G20. Parmi elles, la lutte contre la pauvreté, la réforme des institutions de gouvernance mondiale, la transition énergétique et le développement durable. Hier les dirigeants ont lancé une Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté, visant l’accélération des progrès vers les objectifs de développement durable (ODD) pour éradiquer la faim et la pauvreté. Ces priorités trouvent un écho saisissant en Afrique, où près de 282 millions de personnes souffrent de sous-alimentation, selon un rapport de 2023 co-publié par la FAO, le PAM, l’UA et la CEA. Dans ce contexte, l’autosuffisance alimentaire, intensifiée depuis la crise en Ukraine, reste une urgence vitale pour le continent.
L’Afrique, riche de ses immenses réserves de minéraux critiques comme le coltan, le lithium ou le cobalt – piliers de la révolution des véhicules électriques – est aussi pressentie pour jouer un rôle central dans la transition énergétique mondiale. En cette deuxième journée de sommet, l’UA portera la voix de ses États membres dans les discussions sur ce sujet crucial. Le continent entend dénoncer sa dépendance à l’exportation brute de ses ressources et plaider pour une transformation locale afin de s’intégrer pleinement dans les chaînes de valeur mondiales. Il est attendu des pays du Nord qu’ils assument leurs responsabilités en soutenant les politiques industrielles africaines et en concrétisant leurs engagements en matière de financement climatique et de développement durable – des promesses souvent restées lettres mortes. "La voie à suivre est claire: les économies riches du G20 doivent aller au-delà de la rhétorique et fournir un financement climatique durable et à long terme ainsi que des prêts concessionnels pour aider l'Afrique à combler le déficit de financement actuel", a commenté l’ancien Premier ministre kényan, Raila Odinga.
Augmenter la production agricole vers la sécurité alimentaire
L'agriculture contribue à environ 35 % du PIB de l'Afrique et emploie environ la moitié de sa population active, présentant un potentiel de croissance considérable. Malgré cela, l’Afrique dépend toujours de rares ressources en devises pour importer environ 50 milliards de dollars de produits alimentaires par an, ce qui le rend vulnérable aux fluctuations et aux prix alimentaires mondiaux. Dans le cadre de la ZLECAf, la création d’un marché unique pour l’agriculture, englobant à la fois les intrants (tels que les semences et les engrais) et les produits (y compris les céréales et les aliments transformés), la réduction des droits de douane et autres barrières pourrait augmenter le commerce agricole intra-africain de 574 % d’ici 2030. Cela contribuerait à répondre aux besoins alimentaires du continent, garantissant ainsi sa sécurité alimentaire. Cet objectif est conforme à l'une des principales priorités du Brésil pour le G20 de 2024. L'expérience de l'Afrique et le plan d'action pour résoudre ce problème devraient être au centre du sommet du G20 de 2024.
Accompagner la transition énergétique
Malgré le potentiel considérable de l'Afrique en matière d'énergies renouvelables, le continent est à la traîne par rapport aux autres pays en matière de transition énergétique, recevant moins de 2 % des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables au cours des deux dernières décennies. Pour combler cette lacune, le président kenyan William Ruto a lancé le Partenariat accéléré pour les énergies renouvelables en Afrique (APRA) lors du premier Sommet africain sur le climat à Nairobi en septembre 2023. L'APRA se concentre sur trois domaines clés : mobiliser des financements, fournir une assistance technique et un renforcement des capacités, et impliquer le secteur privé, le tout dans le but d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables en Afrique et dans le monde. Le partenariat comprend le Kenya, l'Éthiopie, la Namibie, le Rwanda, la Sierra Leone et le Zimbabwe, avec le soutien du Danemark, de l'Allemagne et des Émirats arabes unis. Elle invite également d’autres pays et organisations publiques et privées à se joindre à la réalisation de sa mission. Le G20 serait une plateforme idéale pour mobiliser davantage de soutien en faveur de l’APRA.
Accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2063 de l’UA
Le 37e Sommet de l'UA a examiné le premier plan décennal de mise en œuvre (2014-2023) des 20 objectifs énoncés dans l'Agenda 2063, qui vise à transformer l'Afrique en un continent intégré, prospère et pacifique. L'analyse a révélé que les progrès ont été trop lents, avec seulement 10 pays atteignant 50% ou plus de leurs objectifs. L’UA a donc adopté le deuxième plan décennal de mise en œuvre (2024-33) comme une décennie d'accélération, axée sur l'avancement de sept projets phares ayant un impact significatif : la ZLECAf (zone de libre-échange continentale africaine), le Passeport africain, le Grand Inga, le Marché unique du transport aérien africain, l’Université virtuelle africaine, le Réseau électronique panafricain et la Stratégie spatiale africaine. Ces projets sont cruciaux pour le développement de l'Afrique et leur mise en avant dans le contexte du G20 pourrait contribuer à mobiliser un soutien international pour leur mise en œuvre.
Plus de financements internationaux pour soutenir l’Afrique
Plus urgent encore pour l’Afrique est la nécessité de s’attaquer à l’allocation inéquitable de l’aide financière internationale. Historiquement, les pays africains ont reçu beaucoup moins de prêts du FMI en termes de volume. De 1952 à 2023, un pays africain type a emprunté en moyenne 1,5 milliard de dollars au FMI, contre une moyenne mondiale de 8 milliards de dollars. Le prêt moyen du FMI à un pays africain s’élevait à 200 millions de dollars, ce qui est nettement inférieur à la moyenne mondiale de 887 millions de dollars. Actuellement, le solde total des prêts du FMI à l’ensemble de l’Afrique s’élève à 9,2 milliards de dollars, contre 31,6 milliards de dollars pour la seule Argentine.
En outre, bien qu’elle soit l’une des régions les plus touchées par le changement climatique et qu’elle ne contribue que de manière minime aux émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique n’a reçu que 20 % du financement total pour l’adaptation au changement climatique en 2021-2022. En revanche, la région Asie de l’Est et Pacifique a reçu 45 % de ces fonds.
Une autre question cruciale que l’UA devra aborder avec le G20 est la nécessité d’améliorer le cadre commun de restructuration de la dette souveraine des pays à faible revenu, dont beaucoup sont situés en Afrique subsaharienne. Ces pays sont accablés par une dette extérieure importante, totalisant 655,6 milliards de dollars, soit 22,5 % de leur PIB.
Renforcer le commerce et attirer les investissements
La mise en œuvre complète de la ZLECAf a le potentiel d’améliorer considérablement les perspectives économiques de l’Afrique. Selon la Banque mondiale, la ZLECAf pourrait doubler le commerce intra-africain d’ici 2035, augmenter les investissements directs étrangers de 111 % à 159 % et augmenter le PIB de 1,4 % à 2,7 %. En outre, le revenu réel pourrait augmenter de 7 à 9 %, réduisant ainsi de 45 millions le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté. L’impact des subventions agricoles américaines et européennes constitue un défi majeur pour l’amélioration des perspectives commerciales, en particulier pour les exportations agricoles. Ces subventions, qui profitent principalement aux grandes entreprises agricoles, ont longtemps été critiquées par l'Afrique et d'autres pays émergents, car elles sous-cotent les prix des agriculteurs africains et exacerbent la crise climatique. Malgré ces inquiétudes, les appels à la réforme ont été rejetés à plusieurs reprises par les États-Unis et l’UE, mais la question doit rester au centre des discussions internationales.
En outre, plusieurs pays du G20 ont introduit des mesures commerciales liées au climat dans le cadre de leurs efforts pour atteindre les objectifs de zéro émission nette, mais ces mesures pourraient avoir un impact négatif sur l’Afrique. Par exemple, on estime que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE coûterait à l’Afrique environ 25 milliards de dollars par an. L’UA devrait soulever la question au G20, en plaidant pour des mesures visant à compenser les impacts négatifs potentiels de telles initiatives commerciales liées au climat sur l’Afrique.
Améliorer la cote de crédit de l'Afrique pour stimuler l'investissement, la santé et la production de vaccins
Selon un récent podcast de Brookings, la subjectivité et les biais des notations de crédit des pays africains pourraient leur coûter 24 milliards de dollars par an en coûts de financement plus élevés et 46 milliards de dollars en prêts manqués. L’élaboration et l’amélioration de données économiques transparentes, actuelles, cohérentes et pertinentes, associées à un engagement direct des autorités africaines auprès des agences de notation de crédit, pourraient contribuer à remédier à ce biais, qui a créé une prime de risque substantielle pour les emprunteurs souverains africains.
Actuellement, seuls cinq pays d'Afrique subsaharienne ont adhéré aux normes spéciales de diffusion des données du FMI, qui exigent la publication rigoureuse et opportune des données économiques et de leurs méthodes de collecte, une initiative que d'autres pays pourraient adopter. S’il est essentiel d’améliorer la transparence des données, il est tout aussi important que les pays adoptent des pratiques de gestion fiscale et de la dette transparentes et responsables tout en minimisant la corruption. L’établissement d’un historique solide dans ces secteurs modifierait considérablement la perception des créanciers et des investisseurs, tant externes que nationaux, concernant les risques souverains et de crédit des pays africains.