AGI - Lutte contre le chômage des jeunes, contraste au terrorisme et protection des intérêts énergétiques du pays : tels sont les défis structurels auxquels le nouveau président du Mozambique et son futur gouvernement devront faire face après les élections prévues demain, 9 octobre. Le choix du nouveau chef de l'Etat et des députés est entre les mains d'environ 17 millions d'électeurs inscrits - un peu plus de la moitié des 33 millions d'habitants du pays - et si le vote ne risque pas de chambouler le cours politique du pays, il pourrait néanmoins marquer certains changements. Et cela, à commencer par une inévitable alternance au niveau du leadership.
A' l’issue de son deuxième mandat, le président sortant Filipe Nyusi n'a pas pu se représenter, ni imposer le candidat de son parti, le Front de libération du Mozambique (Frelimo), formation qui est au pouvoir sans interruption depuis l'indépendance obtenue du Portugal, en 1974. Lors du congrès du parti en mai dernier, le conseil d'administration du Frelimo a décidé de ne pas se concentrer sur le secrétaire Roque Silva, proche de Nyusi, mais sur Daniel Chapo, un nouveau visage, plus jeune (49 ans), sans expérience politique particulière et surtout sans lien avec l'ancienne rébellion mozambicaine. Aujourd'hui gouverneur de la province méridionale d'Inhambane, Chapo pourrait devenir le premier président né après l'indépendance.
Seuls trois candidats lui font face : l'ancien guérillero Ossufo Momade, leader de la Résistance nationale mozambicaine (Renamo) et déjà candidat à la présidence en 2019 ; Lutero Simango, du Mouvement démocratique du Mozambique (Mdm, troisième force politique du pays), et Venancio Mondlane, candidat indépendant et soutenu par le parti Podemos. Chef de la principale opposition mozambicaine, ancien général de l'ex-guérilla de la Renamo puis reconvertie en parti politique, Ossufo Momade (63 ans) a signé en 2019 un pacte avec le président sortant Nyusi pour mettre fin aux violences perpétrées après la trêve signée en 1992, au terme de 16 années d'une guerre civile qui a fait un million de morts. Lors des élections de demain, Momade entend augmenter le nombre de sièges au parlement de la Renamo et, en particulier, sa présence dans les municipalités, après ce qu'il a qualifié de “victoire volée” aux élections locales de fin 2023 dans plusieurs municipalités, dont la capitale Maputo.
À cette occasion, Momade a annoncé "le début de la révolution" contre l'omniprésent Frelimo, affirmant la "vérité électorale" sur la base d'un décompte parallèle effectué à partir des procès-verbaux et des plaintes pour irrégularités présentées par plusieurs organisations de la société civile. La lutte contre la fraude électorale est également devenue le leitmotiv de sa campagne électorale pour les élections législatives de 2024 : Momade a fait du “balai” le symbole de son combat politique, un objet brandi lors des meetings en promettant de “débarrasser le Mozambique de toutes les saletés du Frelimo, de la pauvreté, de la corruption et du crime”.
Parmi les idées de l'ex-combattant, il y a aussi celle de faire du Mozambique un pays “à trois capitales” : le candidat propose de compléter les fonctions politiques de Maputo (sud) en faisant de Beira (centre) une “capitale parlementaire” et de Nampula (nord) une “capitale économique”. Mais au cœur du projet politique de Momade reste avant tout l'idée de renforcer la politique de proximité, de conquérir le pouvoir local dans les provinces, les districts et les municipalités du Mozambique : une présence capillaire sur le territoire qui s'inspire du projet d'Afonso Dhlakama, leader historique de la guérilla Renamo. Lors de la dernière législature, la Renamo n'avait remporté que 60 des 250 députés de l'Assemblée de la République (le parlement unicaméral du Mozambique), cependant Momade considère le vote dans les districts - qui se tient cette année pour la première fois - comme une opportunité à ne pas manquer, après les nombreux reports décidés par le parti au pouvoir.
Manifesto da Renamo para a cidade de Maputo - Mercados e mulher!: https://t.co/m8WIO7nKbV via @YouTube
— Venâncio Mondlane (@venamondlane) October 2, 2018
Venancio Mondlane (50 ans) pourrait éroder en partie le consensus recherché par Momade dans le sud du pays. Ancien commentateur TV, le charismatique outsider a dû endurer quelques défaites politiques qui ont néanmoins révélé son tempérament : en 2013, il a été candidat maire de Maputo par le Mouvement démocratique du Mozambique (Mdm), mais malgré la majorité des voix, il a dû céder la victoire au candidat du Frelimo sur la base d'un décompte opaque. Mondlane tentera à nouveau sa chance aux élections municipales de 2023, lorsqu'il est candidat maire de la capitale par la Renamo - qu'il a rejoint en 2018 - mais il est de nouveau battu. Élu député, il abandonnera son poste et la Renamo elle-même lorsque Ossufo Momade sera nommé (et élu) au poste de président du parti. Le militantisme politique passionné prend alors une direction indépendante. Lors des élections de demain, sa position s'annonce délicate : en juillet, la Commission électorale nationale (Cne) a annoncé l'exclusion de la Coalition pour l'Alliance démocratique (CAD), un regroupement de petits partis qui le soutenaient, le privant des partis de référence en cas de victoire (improbable).
De son côté, le leader et candidat présidentiel du MDM, Lutero Simango, a promis qu'en cas de victoire il favoriserait l'emploi des jeunes afin d'exploiter localement les ressources du pays. "Sous mon gouvernement, nous ne permettrons pas que notre bois et nos autres ressources soient exportés bruts. Tout doit être transformé ici. C'est pourquoi nous créerons une industrie du bois. De cette façon, nous créerons plus d'emplois pour nos jeunes", a-t-il déclaré. Le candidat a affirmé vouloir “rendre le Mozambique aux Mozambicains” et a réitéré avec force que “le MDM n'a jamais volé l'argent du peuple”. Frère de Daviz Simango, fondateur du Mdm, Lutero dirige le groupe parlementaire du parti qui l'a désigné compact à la présidence : au Congrès de mai dernier, il a été élu par l'ensemble des 80 membres du Conseil.
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— Club of Mozambique (@clubOmozambique) May 6, 2024
Parmi ses arguments politiques, il y a aussi la promesse de mettre fin aux violences dans la province septentrionale de Cabo Delgado, où l'offensive jihadiste et les affrontements provoqués par la réponse de l'armée ont contraint des milliers de personnes à quitter leurs foyers. Cependant, même si la résolution du conflit a été un sujet évoqué lors des meetings des différents challengers, aucun des candidats à la présidentielle ne s'est rendu à Cabo Delgado pour faire campagne. Si la réponse internationale a contribué à limiter les attaques, les incursions jihadistes se poursuivent en effet avec des résultats dramatiques : parmi les épisodes les plus récents, en mai, des miliciens liés à l'État islamique ont attaqué Macomia et contraint les habitants à fuir, tirant en l'air et mettant le feu à près de 200 maisons.
La situation d'insécurité dans la province septentrionale du Mozambique est étroitement liée aux intérêts énergétiques du pays lusophone, y compris italiens. L'offensive jihadiste lancée en 2021 sur Palma a contraint la française TotalEnergies à suspendre un projet de gaz naturel liquéfié (GNL) de 20 milliards de dollars qu'elle développe dans la péninsule d'Afungi avec le soutien en ingénierie de l'italienne Saipem. Les inquiétudes concernent également ExxonMobil. La multinationale américaine gère en effet un consortium dans la zone 4 pour la production de gaz naturel dans le bassin de Rovuma, dirigé par la Mozambique Rovuma Venture (MRV) avec le soutien de l'italienne Eni et du chinois Cncp.
En marge des travaux de l'Assemblée générale des Nations Unies, tenus fin septembre à New York, le président Nyusi a obtenu de faibles assurances de la part du vice-président d'ExxonMobil, Walter Kansteiner, sur la reprise technique des travaux d'extraction de GNL “dans l’année". Selon Nyusi, le résultat des élections générales de demain marquera également un tournant pour l'avenir énergétique du pays et des multinationales qui y opèrent : si TotalEnergies se dit "déterminée" à reprendre ses activités à Cabo Delgado, Nyusi a observé qu'aujourd'hui "personne n'investit d'argent" dans “de terrains marécageux à une époque d’incertitude”. Laissant entendre qu'avec une victoire du Frelimo, le gouvernement pourrait mieux gérer ce dossier, qui revêt également une importance stratégique pour les relations du Mozambique avec le bassin européen et international.