AGI - Dans la capitale italienne de la mode, le talent et la force créative des communautés Afro et POC (People of Color) sont désormais partie intégrante de la semaine de la mode milanaise. Le rideau se ferme sur la XI édition de l’Afro Fashion Week Milan (AFWM), l’un des évènements les plus réussis et de succès du panorama de la mode afro-descendante, africaine et afro inspired en Italie. L’édition de l’automne 2024, dédiée à la présentation des nouvelles collections SS25, a été intitulée "The Black Poem Edition", pour rendre hommage à la contribution originale, enrichissante et étonnante des stylistes ayant un background multiculturel dans le monde de la mode.
“Nous avons voulu raconter l'histoire de la poésie visuelle et narrative qui émerge de ces cultures, en combinant tradition et innovation dans des collections qui expriment la profondeur culturelle et la sophistication artistique. L’objectif est de créer un dialogue entre les créateurs du monde entier, en célébrant les liens entre le passé, le présent et le futur de la mode”, raconte à l’AGI Michelle Francine Ngonmo, italo-camerounaise, un volcan d’idées, fondatrice en 2015 de l’Afro Fashion Week.
Il y a presque 10 ans, AFWM était considéré comme un évènement marginal de la programmation de la semaine de la mode à Milan, pour ne pas dire folklorique selon certains commentaires critiques ou d’autres, pire encore, totalement indifférents. Depuis quelques années, au contraire, la Afro Fashion Week a conquis une place et une visibilité significatives sur les passerelles milanaises, grâce à la persévérance et à la professionnalité de Michelle et de son team, mais aussi à l’attention toujours majeure des institutions - à partir de la Camera Nazionale della Moda Italiana et de la municipalité de Milan – qui ont déjà dédié l’ouverture des défilés à des stylistes afro-descendants vraiment talentueux.
“Dès le départ, notre but était de créer une plateforme qui donnerait de la visibilité aux créateurs afro-descendants et POC (People of Color) en Italie et dans le monde. L’intention était de promouvoir la diversité et l’inclusion dans le système créatif, en donnant de l’espace à des talents souvent sous-estimés ou insuffisamment représentés dans les contextes traditionnels et quotidiens”, souligne la présidente de AFWM. “Nous voulions aussi proposer un nouveau récit, dans lequel la créativité n'était pas limitée par des stéréotypes culturels, mais valorisée dans toute sa complexité et sa richesse, en soulignant également la valeur économique que ces créatifs apportent au développement de l'industrie, non plus en tant que spectateurs mais en tant qu'acteurs”, insiste Michelle Francine Ngonmo. Des avancées positives ont été possibles grâce aux collaborations fructueuses nouées au fil du temps avec des institutions, des universités et des entreprises.
Parmi les créateurs d'origine africaine qui se sont imposés grâce à la plateforme Afro Fashion Week Milan, citons Joy Meribe, qui a fait ses débuts à la Fashion Week de Milan et a continué à se développer à l'international, et Claudia Gisèle Ntsama, qui a apporté sa vision contemporaine de la mode à travers des créations innovantes et durables. Romy Calzado, Zineb Hazim, Karim Daoudi, Airin Tribal et même Victor Hart ont trouvé un espace idéal pour exprimer leur voix créative et leur esthétique.
“Grâce à ces talents et aux nombreux évènements organisés par AFWM, ainsi qu’à l’attention des institutions et des médias, la perception de la mode Afro en Italie a commencé à changer, mais il reste encore un long chemin à parcourir. On accorde aujourd’hui une plus grande attention aux récits provenant de différentes cultures. La mode afro commence à être reconnue non seulement comme une expression artistique, mais aussi comme un élément contribuant de manière significative à la diversité culturelle. Cependant, des obstacles subsistent, notamment en matière d’accès aux marchés et aux ressources”, reconnaît Michelle.
Malgré les progrès, certaines limites persistent. “Sur le plan narratif, la mode Afro est encore souvent confinée à des espaces de “niche” ou ethniquement spécifiques, plutôt que d’être intégrée au courant dominant en tant que partie intégrante de la créativité mondiale. Sur le marché, il existe des défis liés à la visibilité et au positionnement commercial. De nombreux designers afro-descendants ou POC ont du mal à obtenir le même niveau d’accès aux plateformes de vente, aux financements et aux collaborations que leurs collègues blancs peuvent avoir plus facilement”, explique encore la fondatrice d’AFWM.
Mais Afro Fashion Week n’est pas juste synonyme de mode: son influence et son apport sont décisifs dans une sphère culturelle et humaine à 360 degrés, avec des retombées concrètes sur l’économie et le monde du travail.
“Parmi les initiatives parallèles que nous avons créées figurent les Black Carpet Awards, un événement qui célèbre le talent des communautés des industries créatives, en reconnaissant des personnalités qui ont contribué à redéfinir les frontières de la culture, de l'art, du sport, de la cuisine et de la mode en Italie et dans le monde qui reçoivent un prix lors d’une soirée gala, qui cette année s’est tenue le 20 septembre”, dit encore à l’AGI l’éclectique fondatrice de AFWM.
Enfin, “nous avons également lancé un projet de recensement et cartographie des talents invisibles, en collaboration avec Vogue Italia en 2022 : “The Unseen Profiles” (les profils invisibles). Il s’agit d’une plateforme d'offres d'emploi pour faciliter l'inclusion de professionnels invisibles dans le système. Une recherche qui met en lumière les créatifs d'origine africaine et POC qui opèrent dans des secteurs tels que la mode, l'art et le design, souvent sans la reconnaissance qu'ils méritent”, conclut Michelle Francine Ngonmo.
Grâce à ce travail de longue haleine tous ces créateurs talentueux sont sortis de l’invisibilité : ils ont été soutenus pour arriver à former un réseau d'autonomisation, qui s’avère un atout décisif vers la reconnaissance et le succès, au-delà des frontières de l’Italie aussi. Dans certains cas pour donner vie à des collaborations fructueuses dans les pays d’origine du continent africain en pleine effervescence créative et avec des marchés à conquérir. Bref un retour aux origines qui fait de la mode un pont entre les deux rives de la Méditerranée.