AGI - L’arrivée en force de l’Egypte en Somalie, dans le cadre du renforcement de la coopération militaire entre les deux Pays, attise les tensions en cours depuis des mois entre Mogadiscio et l’Ethiopie. A l’origine de cette crise diplomatique et politique, l’accord maritime passé en janvier entre Addis-Abeba et la région séparatiste somalienne du Somaliland, en lutte pour une reconnaissance internationale contestée par la Somalie. Véritable “convive de pierre” de la crise somalo-éthiopienne, l’Egypte a récemment concordé avec le président somalien Hassan Cheikh Mohamud l’envoi en Somalie de 10 mille militaires : la moitié seront intégrés à la Mission de soutien et de stabilisation de l'Union africaine en Somalie (Aussom) - qui, à partir du 1er janvier 2025, prendra le relais de la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (Atmis) - tandis que les 5.000 autres seront déployés au niveau bilatéral.
La réponse éthiopienne ne s’est pas fait attendre. Suite à l’arrivée à Mogadiscio des premiers soldats égyptiens (qui seront déployés dans les États régionaux de Hirshabelle, du Sud-Ouest et de Galmudug), le 27 août, Addis-Abeba a d’abord déployé ses véhicules blindés et des centaines d'hommes à la frontière avec la Somalie, puis saisi les aéroports stratégiques de la région somalienne de Ghedo - notamment ceux de Luq, Dolow et Bardere - dans le but d'empêcher un éventuel pont aérien de troupes égyptiennes vers la région. Les aéroports constituent les seuls points d'accès aux villes de la région de Ghedo, les principales artères routières étant contrôlées par le groupe jihadiste Al-Chabab.
En même temps, le chef des Forces de défense nationale éthiopiennes (Endf), Birhanu Jula, a réitéré que l'Éthiopie est prête à défendre son intégrité territoriale et sa souveraineté “contre toute violation de forces extérieures” qui pourraient la menacer, accusant la Somalie voisine de “complicité” avec des forces visant à “déstabiliser la région”. Jula a mis en garde Addis-Abeba contre des “ennemis historiques” (avec une référence claire à l'Égypte) qui visent à entraver le développement de l'Éthiopie, avec le soutien de “ mercenaires et traîtres internes”. L’Ethiopie et l’Egytpe s’opposent d’ailleurs depuis longtemps, sur un tout autre plan, au sujet du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (Gerd), maxi infrastructure en construction sur le Nil que Le Caire considère comme une menace pour son approvisionnement en eau.
Le Premier ministre somalien Hamza Abdi Barre a tenté aujourd’hui de désamorcer les tensions, soulignant que si la Somalie a le droit d'accueillir des troupes égyptiennes pour l'assister dans ses besoins de sécurité, cela aux yeux de Mogadiscio ne constitue pas une intention agressive contre l’Éthiopie. Barre a toutefois exprimé de sévères critiques à l'égard d'Addis-Abeba, accusant le gouvernement éthiopien de violer la souveraineté somalienne, arguant que des actions comme le mémorandum souscrit avec le Somaliland violent le droit international et portent atteinte à l'intégrité territoriale de la Somalie. Toute assistance militaire extérieure, y compris les déploiements potentiels de forces égyptiennes, a toutefois pour Barre “un objectif purement défensif” et ne doit pas être considérée comme un prélude à des opérations offensives.
Le gel diplomatique existant entre les deux pays de la région orientale est apparu évident à l'occasion du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) de Pékin, lorsque le président somalien a refusé de rencontrer le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Selon les sources de “Garowe online”, la médiation de l'ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, actuel haut représentant de l'Union africaine pour la Corne de l'Afrique, n’aurait servi à rien, tout comme auparavant celle tentée - également sans succès - par le président kenyan William Ruto.
Le rapprochement entre l'Égypte et la Somalie a été favorisé également par le dégel des relations entre Le Caire et la Turquie, un allié historique de Mogadiscio. Au cours de sa récente visite à Ankara (la première depuis 2014), le président égyptien Abdel Fattah al Sisi a indiqué sans équivoque la proximité retrouvée entre les deux pays après les années de gel vécues depuis 2013 en raison de positions divergentes sur l'Islam politique, mais aussi sur les questions géopolitiques régionales. En 2021, le dégel entre le Qatar – principale référence des Frères musulmans – et le bloc des pays du Golfe formé par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn, avec l'Égypte, a en effet ouvert de nouvelles chances aux relations entre Le Caire et Ankara.