AGI - L'Union européenne est face à un “défi existentiel” et ne pourra s’en sortir sans une “nouvelle stratégie industrielle” capable de relancer sa compétitivité. C’est l’avis, alarmant, formulé par l’ex gouverneur de la Banque centrale européenne (Bce) Mario Draghi dans son rapport consacré à “L’avenir de la compétitivité européenne”. Rédigé à l'aide de fonctionnaires de la Commission européenne, l’étude présentée ce matin à Bruxelles part néanmoins d’un constat positif. “L'Europe dispose des bases nécessaires pour devenir une économie hautement compétitive”, souligne le document, mais l'Union européenne a besoin aujourd’hui de plus d'investissements que ceux du Plan Marshall ou des années 60 et 70. Le rapport dresse “un tableau d’urgence”, explique Draghi, qui demande “du concret”, sans quoi l'UE pourrait être confrontée à une lente agonie.
Un processus, considère l’ex premier italien, déjà en cours depuis 2000 avec une évidente réduction du revenu réel disponible par habitant - celui des familles des Etats-Unis a presque doublé entre-temps -, le déclin démographique, l’essor des entreprises technologiques et des nouvelles technologies. Un secteur, ce dernier, dans lequel l’Europe est à la traîne tant par rapport aux États-Unis qu’à la Chine.
La crise géopolitique actuelle, a déclaré Draghi, risque “d’ébranler les fondations sur lesquelles nous avons construit la compétitivité européenne : “l’Europe a soudainement perdu son principal fournisseur d’énergie, la Russie. Pendant ce temps, la stabilité géopolitique diminue, et nos dépendances se sont révélées vulnérables”.
Pour Draghi "nous devrions abandonner l'illusion selon laquelle seule la procrastination peut préserver le consensus”. En réalité, a-t-il expliqué, la procrastination n'a produit qu'un ralentissement de la croissance et n'a certainement pas permis d'obtenir davantage de consensus. “Nous avons atteint le point où, sans agir, nous devrons compromettre notre bien-être, notre environnement ou notre liberté", lit-on encore dans le document, où Draghi plaide pour des emprunts communs pour renforcer la compétitivité européenne. “Nous devons commencer par une évaluation commune de notre position, des objectifs que nous voulons prioriser, des risques que nous voulons éviter et des compromis que nous sommes prêts à faire”, affirme l’ex gouverneur de la Bce, en rappelant que “les réformes ne peuvent être véritablement ambitieuses et durables que si elles bénéficient du soutien démocratique".
Le point important, a-t-il conclu lors de la conférence de presse, "c'est que nous devons comprendre que nous devenons de plus en plus petits par rapport aux défis auxquels nous sommes confrontés. Pour la première fois depuis la guerre froide, nous devons vraiment craindre pour notre auto-préservation. Et la raison d'une réponse unie n'a jamais été aussi convaincante. Je suis convaincu que dans notre unité, nous trouverons la force de nous réformer", a-t-il ajouté.
Pour numériser et décarboner l'économie et augmenter notre capacité de défense, le rapport estime que la part des investissements dans l'Ue devra augmenter d'environ 5 points de pourcentage du PIB, atteignant des niveaux observés pour la dernière fois dans les années 1960 et 1970. “Il s'agit d'une situation sans précédent : à titre de comparaison, les investissements supplémentaires fournis par le plan Marshall entre 1948 et 1951 s'élevaient chaque année à environ 1 à 2 % du PIB", a précisé Draghi. Pour relancer la croissance, selon le document présenté à Bruxelles, des initiatives sont nécessaires dans trois domaines. Premièrement, "et plus que toute autre chose", l'Europe doit profondément réorienter ses efforts collectifs pour combler le déficit d'innovation avec le Les États-Unis et la Chine, en particulier en ce qui concerne les technologies avancées. Une structure, celle européenne, définie comme “statique” par rapport à ses homologues chinoises et américaines, avec peu de nouvelles entreprises émergentes sur la scène mondiale et aucune de plus de 100 milliards de capitalisation émergeant dans le monde depuis 50 ans, contrairement aux Big Tech américaines. Pour Draghi nous ne manquons pas d’idées ou d’ambition, mais nous ne parvenons pas à traduire l'innovation en commercialisation.
Le deuxième domaine d’action concerne la décarbonation et la compétitivité. Si les objectifs climatiques ambitieux de l'Europe s'accompagnent d'un plan cohérent pour les atteindre, explique Draghi, "la décarbonation sera une opportunité pour l'Europe. Mais si nous ne parvenons pas à coordonner nos politiques, il y a un risque que la décarbonation finisse par aller à l’encontre de la compétitivité et de la croissance”.
En effet, les entreprises européennes sont toujours aux prises avec des prix de l’électricité trop élevés par rapport à leurs homologues américaines, avec des prix du gaz 4 à 5 fois plus élevés : des plans sont nécessaires pour répercuter les bénéfices de la décarbonation sur les utilisateurs finaux, sinon “les prix de l'énergie continueront de peser sur la croissance”.
Dernier point, la sécurité et les dépendances, notamment dans le secteur des matières premières critiques. "La sécurité est une condition préalable à une croissance durable. Les risques géopolitiques croissants peuvent accroître l'incertitude et freiner les investissements, tandis que de graves chocs géopolitiques ou des arrêts soudains des échanges commerciaux peuvent être extrêmement perturbateurs. À mesure que l'ère de la stabilité géopolitique disparaît, le risque augmente que l'insécurité croissante devienne une menace pour la croissance et la liberté", on lit dans le rapport.
"Pour maintenir notre liberté, nous aurons besoin d'une véritable politique économique étrangère de l'UE, qui devra coordonner les accords commerciaux préférentiels et les investissements directs avec les pays riches en ressources, constituer des stocks dans des secteurs critiques sélectionnés et créer des partenariats industriels pour garantir la fourniture de technologies clés. “Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons créer le levier de marché nécessaire pour réaliser tout cela".