AGI - Après des mois de tensions entre la Somalie et l'Éthiopie, la première tentative concrète pour résoudre les tensions dans la Corne de l'Afrique à la suite des revendications éthiopiennes d'accès à la mer Rouge vient de Djibouti. Dans une interview à la BBC, le ministre djiboutien des Affaires étrangères Mahamoud Ali Youssouf a annoncé l'intention de son gouvernement d'accorder à l'Éthiopie la gestion du port de Tadjourah, un terminal situé à l'extrême nord de la Corne de l'Afrique, face aux côtes yéménites.
La proposition, a-t-il expliqué, vise à offrir une solution au différend diplomatique ouvert entre l'Éthiopie et la Somalie à la suite du protocole d'accord controversé que le gouvernement d'Addis-Abeba a signé le 1er janvier dernier avec les autorités du Somaliland pour obtenir l'accès à la mer, à travers la concession du port de Berbera. Youssouf, qui est également candidat à la présidence de la Commission de l'Union africaine, a déclaré que l'offre de Djibouti s'inscrivait dans le cadre des efforts visant à apaiser les tensions dans la région, désormais une “source de préoccupation majeure”.
La proposition appelle l'Éthiopie à gérer le port, situé à environ 100 km de la frontière éthiopienne, et à utiliser potentiellement un corridor nouvellement construit entre les deux pays. Même si les autorités éthiopiennes n'ont pas encore commenté la nouvelle, Youssouf a indiqué que la proposition avait déjà été présentée au gouvernement d'Addis-Abeba par le président djiboutien Ismail Omar Guelleh, et que celle-ci serait discutée en détail lors du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), à Pékin.
Fruit d'investissements d'environ 90 millions de dollars, le port de Tadjourah est opérationnel depuis 2017. Il a été développé avec la participation de la société véronaise Technital, impliquée également dans le projet d'aéroport de Djibouti, et peut s'enorgueillir de disposer de terminaux particulièrement faciles pour les navires : ils sont situés dans une position idéale pour desservir l'arrière-pays et peuvent accueillir des navires pesant jusqu'à 65 000 tonnes de port en lourd.
L'Éthiopie dépend déjà pour plus de 85% de ses exportations des terminaux de Tadjourah, qui ont été conçus pour traiter jusqu'à quatre millions de tonnes de potassium, un minéral qu'Addis-Abeba compte exporter avec le calcaire et le minerai de fer. Le projet permettrait ainsi à Djibouti de renforcer sa plateforme maritime et de freiner les ambitions du Somaliland voisin, tout en offrant une aide claire à son principal partenaire : la Chine.
Ce n'est pas un hasard si c'est avec son homologue Xi Jinping que le président djiboutien Guelleh a signé, lundi 2 septembre, un accord important, élevant les relations bilatérales au rang de “partenariat stratégique global”. Pékin est disposé à soutenir Djibouti dans la construction d'un pôle commercial et logistique régional et dans la gestion de projets tels que le chemin de fer reliant Addis-Abeba à Djibouti, a déclaré Xi à l'issue d'une réunion bilatérale à Pékin à la veille du sommet de la Focac.
La Chine, qui en 2017 a choisi les côtes de Djibouti pour y positionner sa seule base militaire à l'étranger, souhaite à terme "contribuer à la paix et au développement dans la Corne de l'Afrique", a conclu le président chinois. Une référence pas trop voilée au récent déploiement en Somalie des premières unités égyptiennes - à terme elles seraient 10 mille au total - pour prêter main-forte aux besoins nationaux et régionaux de défense et de lutte contre le terrorisme : environ cinq mille hommes seront intégrés dans la Mission de soutien et de stabilisation de l'Union africaine en Somalie (Aussom), qui prendra le relais une fois achevé le retrait de l'actuelle (Atmis) ; les cinq mille autres soutiendront le gouvernement somalien de manière indépendante.
Dans le cadre des ambitions de Djibouti, Tadjourah offre surtout l’opportunité d’intégrer le projet chinois de la Nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative - BRI), dont Djibouti aspire à devenir une plaque tournante stratégique. Cette initiative assure de probables investissements chinois à Djibouti comme en Ethiopie, jusqu'ici coupés de la BRI faute de débouché sur la mer, et offre au gouvernement djiboutien la possibilité de se tailler une visibilité internationale dans un secteur maritime de plus en plus compétitif. En plus de disposer de sa propre base militaire, opérationnelle depuis 2017 et située à quelques kilomètres de celle américaine, Pékin a en effet signé un accord avec Djibouti en 2022 pour la construction d'une future base de lancement dans l'espace, désormais de facto le cinquième domaine du secteur de la défense. Le projet d'un milliard de dollars a été confié à la société chinoise Hong Kong Aerospace Technology et devrait voir le jour dans le golfe de Tadjourah d'ici 2028.