La 60ème édition de la Biennale d’Art de Venise, intitulée "Stranieri Ovunque - Foreigners Everywhere – Etrangers Partout", accorde une place de choix à l’Afrique, représentée par les pavillons de 13 nations. Le thème offre une occasion profonde d'explorer les récits d'intersectionnalité culturelle, de migration et de mondialisation, tous profondément en résonance avec l'expérience africaine.
"C’est une célébration de l'étranger, du lointain, de l'outsider, du queer et de l'indigène", a expliqué le commissaire brésilien Adriano Pedrosa, premier curateur latino-américain. Le message est clair : renverser le regard centré sur l'Occident pour l'ouvrir aux autres régions du monde et questionner l'identité, le social et la norme.
Avant lui, en 2015, un autre commissaire aujourd'hui décédé, Okwui Enwezor, originaire du Nigeria, avait insufflé un souffle nouveau avec "Tous les futurs du monde".
Nouvelles entrées et confirmations de la Biennale 2024
L’édition 2024 de la Biennale, en cours jusqu’au 24 novembre, est marquée par la première présence sur la lagune du Bénin, de l'Éthiopie, de la Tanzanie et du Sénégal. C’est aussi un retour sur la scène artistique vénitienne pour l'Afrique du Sud et le Nigéria, aux côtés de la Côte d'Ivoire, du Cameroun, de l'Égypte, de l'Ouganda, de la République démocratique du Congo, des Seychelles et du Zimbabwe. Une participation à la fois diversifiée et dynamique, qui offre un regard unique sur les complexités de l'identité, de l'héritage et de l'innovation africains.
La première fois du Bénin, de la Tanzanie, du Sénégal et de l’Ethiopie
Baptême du feu réussi pour le Bénin avec un pavillon signé par le critique d'art nigérian, Azu Nwagbogu, qui a choisi quatre artistes de différentes générations pour illustrer le concept "Everything Precious Is Fragile". Romuald Hazoumé, Chloé Quenum, Moufouli Bello et Ishola Akpo ont eu pour mission d'explorer le féminisme africain à travers la figure de l'Amazone, la traite négrière et la spiritualité Vodun.
La Tanzanie rejoint la scène artistique mondiale avec une présentation immersive des artistes de la galerie Rangi : Happy Robert, Lute Mwakisopile, Haji Chilonga et Naby, qui explorent le concept de "l'Autre", plongeant dans la relation complexe entre l'humanité et la nature à travers l'archétype du trickster, une figure chimérique qui agit comme un médiateur entre les humains et le divin.
Le Sénégal, avec l’appui de la galerie Templon, a misé sur les peintures et installations innovantes de l'artiste Alioune Diagne, explorant des sujets cruciaux tels que le rôle des femmes, la discrimination, les préoccupations environnementales et le transfert intergénérationnel du patrimoine, sous le titre "Bokk - Limites".
L'Éthiopie, soutenue par la puissante galerie Saatchi Yates, permet au pays d'exposer un jeune peintre, Tesfaye Urgessa, dans le pavillon intitulé "Préjugés et Appartenances". L'artiste, établit en Allemagne, s'inspire de son travail de traducteur auprès des migrants et de leurs histoires. Il dépeint la société africaine contemporaine et les questions d'identité, misant sur une utilisation innovante d'esthétiques classiques et occidentales.
L'Afrique du Sud, à sa septième participation, présente "Quiet Ground" organisée par Portia Malatjie pour l'Institut de Réparation Créative, qui met en vedette l'installation sonore Dinokana (2024) du collectif MADEYOULOOK (Molemo Moiloa et Nare Mokgotho) centrée sur les histoires de migration forcée, de connaissances indigènes et de dépossession foncière dans la patrie de Nelson Mandela.
Pour sa deuxième participation à la Biennale de Venise, le Nigéria présente une exposition ambitieuse et multiforme intitulée "Nigeria Imaginary." Organisée par Aindrea Emelife du Musée de l'Art de l'Afrique de l'Ouest (MOWAA), le pavillon réunit un groupe intergénérationnel de huit artistes nigérians de renom, tant du pays que de la diaspora : Tunji Adeniyi-Jones, Ndidi Dike, Onyeka Igwe, Toyin Ojih Odutola, Abraham Oghobase, Precious Okoyomon, Yinka Shonibare CBE RA, et Fatimah Tuggar.
Sur la lagune les échos du continent
Au pavillon égyptien, Wael Shawky, à travers une comédie musicale filmée, retrace avec brio la révolution nationaliste de 1879, étouffée trois ans plus tard sous le bombardement d'Alexandrie par les troupes britanniques. Un écho au thème de la biennale, "Étrangers partout" qui nous rappelle que, dans le cas de l'Égypte et de nombreux pays du Sud, les étrangers sont des colonisateurs et non des immigrants.
Le pavillon de la Côte d'Ivoire, intitulé "Blue Note" et dirigé par Illa Ginette Donwahi et Simon Njami au Centro Culturale Don Orione Artigianelli, présente les initiatives artistiques de Jems Koko Bi, François Xavier Gbré, Sadikou Oukpedjo, Franck Abd-Bakar Fanny, et Marie Claire Messouma.
Le Kenya se joint au sommet essentiel de l'art contemporain international avec "Racines du Retour", une exposition organisée par Milka Mugo et Edward Mwaura Ndekere. Le pavillon met en vedette les artistes Elkana Ong’esa, Gerald Oroo Motondi, Robin Okeyo Mbera, John Tabule Abuya Ogao, Peter Kenyanya Oendo, et Charles Duke Kombo.
Quête visionnaire du Cameroun qui a choisi comme titre la maxime latine "Nemo Propheta in Patria". Les artistes, Jean Michel Dissake, Hako Hankson, et Kendji & Ollo Arts, exposés au Palazzo Donà delle Rose, mettent en lumière la plaie omniprésente de tous ceux qui obtiennent une plus grande appréciation à l'étranger plutôt qu’au sein de leurs propres communautés. Le pavillon camerounais a misé sur la mise en œuvre de politiques de réduction des émissions et l'adoption du recyclage des matériaux.
Avec le thème "LITHIUM", le pavillon de la République démocratique du Congo fait référence directe au minerai précieux et convoité dont le pays martyr est riche. Les artistes exposés sont Aimé Mpane, Eddy Kamuanga Ilunga, Eddy Ekete, Jean Katambayi Mukendi, Cédric Sungo, Steve Bandoma, Eléonore Hellio, et Michel Ekeba du collectif Kongo Astronauts à la Fondation Gervasuti (Palazzo Canova, Cannaregio).
Par ailleurs le collectif congolais ‘Cercle d’Art des Travailleurs de Plantation Congolaise (CATPC)’ a collaboré à la réalisation du pavillon des Pays-Bas, qui célèbre "le blasphème et le sacré", dans lequel la violence du passé est sculptée dans du cacao.
Le pavillon des Seychelles met à l’honneur les travaux de quatre artistes locaux : Jude Ally, Ryan Chetty, Danielle Freakley et Juliette Zelime (alias Jadez), qui explorent des questions d’identité nationale, culturelle et sociale.
L'armonie du pavillon ougandais et la réflexion offerte par le Zimbabwe
Un message d’harmonie collective arrive directement du pavillon de l’Ouganda, avec une exposition collective intitulée WAN ACEL - TULIBAMU - TURIBAMWE - WE ARE ONE – NOUS SOMMES UN, organisée par Acaye Kerunen. Les œuvres de cinq artistes individuels et d'un collectif de vingt-six tisserands célèbrent l'interconnexion de la sculpture, de l'architecture, de la matérialité et du savoir-faire. Ecorce de bananier, bambou asper noir, perles en papier, fibres naturelles, installations vidéo et sonores, offrent aux visiteurs une expérience riche et diversifiée.
Enfin le pavillon du Zimbabwe se concentre sur le concept de kududunuka: une exploration des idées qui mettent en évidence l'effritement du monde. L'exposition offre un espace de réflexion, de construction de ce qui n'existe pas encore et de projection vers un nouvel horizon.